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Parue dans Freakshow Comix #5

Sorcellerie de comptoir

Entraînée d’un geste brusque, elle fit irruption dans la chambre. Ce qui la frappa d’abord, ce fut cette femme, échouée sur le lit à baldaquin. En partie ensevelie sous un tas de serviettes fumantes, on l’aurait dit morte sous une avalanche. Puis, dans un deuxième temps, elle remarqua l’empressement qui régnait autour du lit. Un domestique venait régulièrement presser sur une poche dont le liquide jaunâtre remontait dans un tuyau jusqu’au gosier de la femme. Plus loin, des médecins examinaient attentivement, parfois même à l’aide d’une loupe, des serviettes tachées de ce qui lui sembla être un mélange de merde et de sang. Près d’eux, un autre s’affairait avec passion à aiguiser un grand couteau à dents pendant que son collègue prenait des mesures de la dame échouée. Un peu en retrait, un homme gémissant faisait les cent pas au milieu de domestiques qui continuaient de faire bouillir de nouvelles serviettes dans d’immenses marmites à moutons.
« Sire ! Sire ! cria l’individu brutal et musclé qui l’avait traînée dans cette pièce.
Le type des cent pas leva la tête et fonça vers eux.
_ Mon vizir ! Tu es là ! Enfin !
_ La voici, Votre Majesté, dit le gaillard en la poussant en avant.
Le Roi se planta devant elle, l’examina et, comme si cette vision l’avait blessé, se remit à gémir quelques instants avant de lui lancer :
_ Tu dois m’aider, femme !
Elle le dévisagea de son oeil las, et dit d’un air méprisant :
_ Et c’pour quoi ?
_ Mon fils ! Il doit naître. Maintenant !
_ Ah ? dit-elle sans grand intérêt et en jetant un regard à la bonne femme ensevelie. Et pourquoi que j’f’rais ça, hein ?
_ Tais-toi donc vilaine ! crie le vizir en lui balançant sa main puissante dans la figure. Ton Roi t’ordonne, tu obéis !
_ Non, non, mon cher vizir, je crois qu’elle peut comprendre, dit le Roi.
Et pendant qu’elle se frottait la joue en jetant des regards amusés au vizir, il raconta :

Plusieurs années auparavant, contraint et forcé par des révoltés en colère qui s’étaient introduits dans le château, il avait promis qu’il organiserait des élections s’il n’avait pas de fils pour monter sur le trône. Il était déjà vieux et la Bonne Reine n’était jamais entièrement tombée enceinte. Mais il était hors de question de céder au chantage. Il fallait à tout prix empêcher l’instauration de ce satané vote démocratique. On devait impérativement enrayer la machine infernale qui pousserait le peuple à demander toujours plus d’aisance, à balayer ainsi d’un revers de la main les piliers de notre société et à réduire à néant l’ordre moral et les garden partys. Il le savait, tout cela n’aurait qu’une seule terrible et inévitable conséquence : précipiter le pays entier dans un chaos sans…
_ C’bientôt fini vot’ truc ? L’interrompit-elle brusquement. Non, passe que moi va falloir que je m’soulage eul’boyau, là.
Le Roi leva les yeux au plafond et continua avec une pointe d’agacement mais en pressant un peu le débit de ses paroles :
Après ce serment, donc, et qu’une terrible malédiction ait poussé sa première épouse à se fendre le crâne sur le chambranle d’une porte, il s’était remarié. Il avait eu la chance de rencontrer une autre femme qui ne mettait au monde que des garçons (9 au total). A la suite d’une terrible malédiction qui avait poussé le mari de celle-ci à se fendre le crâne sur une hache, il l’épousa. Au début, elle avait enchaîné les fausse couches mais, pour prévenir d’une nouvelle malédiction et sur les conseils avisés de leurs médecins, elle avait abandonné l’aqua-poney – activité qu’elle avait découvert au château et trouvait follement récréative – et était enfin tombée enceinte. Quelques mois plus tard, les médecins avaient été formels : il était enfin là, son fils ! Et l’espoir de sauver le pays et son bon peuple était finalement revenu dans les coeurs.
Il y eu une silence. Elle fixait les médecins, qui eux-mêmes la fixaient avec des regards mauvais. Puis, réalisant que l’histoire était finie, elle finit par lancer :
_ Oui bèh c’bien joli vot’ histoir’, là. Mais moi j’vois pas qu’esse que j’peux ben fair’ d’plus qu’eux.
_ Hé bien usez de votre magie, voyons, répondit le Roi en jetant un oeil suspicieux à son vizir. Dites des incantations, jetez des sorts, faites des potions, qu’est-ce que je sais, moi !
_ Ouuuuh ! Lança-t-elle les yeux écarquillés. J’fais pas ça moi, Vot’ Majesté ! C’t’interdit par vot’ loi, ça…
_ MENTEUSE ! assena le vizir. Et en la secouant par le cou il ajoute : cesse de mentir et obéis à ton Roi, sale mégère ! Ou je te ferai personnellement jeter dans la fosse septique du château !
Une fois stabilisée, elle dit en regardant ses pieds :
_ Oh non, M’sieur Vizir ! Pas la foss’ ! J’aimerais mieux qu’vous donniez des coups d’fouet.
Et puis lui lançant une nouvelle oeillade amusée, elle ajouta :
_ … sur les fesses.
_ DIABLESSE ! cria le conseiller fou de rage et de dégoût. DIABLESSE !
Il s’apprêtait à lui envoyer une gifle quand un messager fit irruption en criant :
_ Je porte une information pour Sa Majesté le Roi !
L’envoyé annonça que des porteurs d’une pétition en faveur de la démocratie marchaient sur le palais et tambourineraient aux portes dans les heures qui viendraient.
A ces mots le monarque eu l’air effondré.
_ Je vous en prie ! supplia-t-il en direction de la magicienne. On m’a rapporté que vous aviez fait naître des triplés sans leur couper des membres, que vous aviez sorti un enfant de 6kg d’une mère de 30 et que vous êtes également championne de Magix. Vous devez forcément pouvoir sauver cet enfant !
_ Mais j’fais pas d’magie moi, Vot’ Sire ! J’fais que d’filer des coups d’main.
_ Sale menteuse ! cracha le vizir. Et pourquoi on t’a sortie du cachot pour te faire venir ici, tu crois ?
Elle eu l’air embarrassée et rétorqua :
_ Ah bèh c’pas moi ! C’passque mon beau frèr’ y…
_ TAIS-TOI !!
Il y eu un temps de silence puis le Roi gémissant de plus en plus comme un animal blessé se jeta sur la pauvre fille, la pris par les épaules et lui dit :
_ Femme, si tu fais naître mon fils, je te jure que tu ne seras plus obligée de participer aux matchs de free-quiddish entre détenues ! Tu ne retourneras même pas en prison !… Tu… tu…, réfléchit-il tout haut, tu n’auras pas à passer le test de flottaison et je te fais même préparer sur-le-champ un certificat de non-sorcellerie en bonne et due forme !
_ Non mais moi je… Et elle fut interrompue par la grosse main menaçante du vizir. Mais celle-ci fut également stoppée dans son élan par la voix du souverain :
_ Et je… je vous donnerai toute ma collection de carte Magix ! lança-t-il très vite, d’une voix plus aiguë qu’à l’ordinaire.
A ces mots, l’œil de la championne s’alluma. Tout à coup elle dit en plissant les yeux et d’une voix qu’on ne lui connaissait pas :
_ Je veux le Lotus Pourpre.
Le menton du Roi trembla. Il se mit à s’agiter. Différentes expressions se relayaient sur son visage. Il était de toute évidence prêt à exploser. Le vizir vint lui chuchoter à l’oreille. Puis, une larme coula sur sa joue et lorsqu’il hurla d’une voix suraiguë, une bulle de morve éclata à la sortie de son nez :
_ BON, D’ACCORD !
_ Marché conclu ! enchaîna-t-elle ravie. Dites-moi main’nant qu’esse qui va pas avec vot’ dame ?
_ Mes médecins disent que l’enfant est coincé, articula-t-il piteusement. Puis tout en expliquant, il repris conscience de l’enjeu du moment. Ils pensent que la meilleure solution serait d’étriper Madame la Reine avec le grand couteau chirurgical pour aller le chercher, mais ils ne sont pas sûrs ni que l’enfant y survive ni que l’avis de décès de la mère pourra être publié pour lundi. Je leur ai donc dit de ne rien faire avant votre arrivée.
_ Je vois ! déclara-t-elle très vite.
Suivie de près par le roi, elle s’avança vers la Reine. Les médecins se mirent à reculer et à siffler entre leurs dents :
_ Ssssorciiièèère ! Ssssorcière !
Les ignorant, elle continua de marcher vers le lit et fut tout à coup assaillie par de fortes effluves d’alcool. La Reine ronflait.
_ Ah oui, nous l’avons… disons… un peu anesthésiée dit le Roi.
_ Mais… commença-t-elle interloquée
_ Oui, la coupa-t-il, nous devrons la fouetter demain pour cette souillure. Mais elle criait si fort ajouta-t-il avec une grimace.
Elle enfonça son bras dans le royal vagin, puis le ressortit. Ca se présentait décidément mal.

L’enfant était mal mis et la mère était inconsciente. Elle commença par faire enlever le tas de serviettes de sur la Reine. Puis elle ordonna qu’on aille chercher un poisson en cuisine, qu’on l’arrose de quelques gouttes d’huile essentielle de menthe poivrée et qu’on en gifle vigoureusement la dame pour la réveiller.
_ Ma’ame Sa Majesté, va falloir pousser fort ! lui dit-elle après que celle-ci ait repris ses esprits et copieusement vomi près du lit.
Replongeant sa main dans le vagin, elle se mit à trafiquer. Son visage se crispa dans la concentration et l’effort. Pendant plusieurs minute elle sembla lutter. Puis, elle encouragea la Reine à pousser. De manière douce d’abord et, au bout de plusieurs minutes, de manière plus directe, avec des :
_ Mais tu vas pousser, putain de bordel de cul !
Le sang se mit à gicler sur les draps, puis sur son visage. Mais bientôt on la vit reculer lentement agrippée à quelque chose. Ainsi finalement le bébé sortit et se mit à brailler.
Ces cris incitèrent la Reine hébétée à tendre les bras et à les agiter dans l’air. La sage-femme étant affairée à emballer promptement l’enfant dans une serviette, la souveraine finit par attraper le poisson, l’embrassa et le mit à son sein dans un soupir d’aise.
Comme promis, l’accoucheuse échangea le bébé emmailloté contre le certificat et un colossal tas de cartes Magix sur le dessus duquel trônait celle du Lotus Pourpre.
_ Mon petit ! Mon tout petit ! Enfin ! Tu es là mon fils ! Tout ira bien maintenant, pleurnichait le Roi en berçant l’enfant.
Lorsque son ravissement face au Lotus Pourpre fut estompé, la sage-femme parue un peu gênée.
_ Bon, ben voilà-voilà ! déclara-t-elle un peu solennellement. Puis, elle lança un « Le bonjour à vot’ mère ! » au monarque ainsi qu’un clin d’oeil appuyé au vizir et elle fila de la chambre telle un pet sur une toile cirée.
_ Elle est malheureusement décédée, finit par répondre distraitement le Roi entre deux papouilles à son enfant. Il se mit à l’embrasser frénétiquement en chantonnant. Sous les assauts de ses baisers, lentement la serviette se défit et finit par tomber au sol. Le regard du Roi vint lentement se poser sur l’entrejambe du bébé. Et alors que l’accoucheuse courrait déjà hors du château, un cri aigu de colère mêlée de désespoir fit résonner les hauts murs de pierre et dessina un petit sourire triomphant sur son visage :
« SSORCIIIÈÈÈÈÈRE !!! »